Et si l'immobilier grimpait pendant des décennies ?
Vendez tout ! En ces temps de tourmente financière, les placements ressemblent à des pains de sucre sous la pluie. Les cours des actions ont pratiquement perdu le dixième de leur valeur en trois semaines, à Paris comme sur d'autres places boursières. L'argent à long terme se loue plus cher depuis deux mois, ce qui veut dire que les prix des obligations ont dévissé. Le taux sur les obligations émises par l'Etat français est ainsi passé de 0,5 % à 0,9 %. Aucun refuge ne semble résister. Le pétrole s'est déprécié. L'or a glissé. Le bitcoin a perdu près des deux tiers de sa valeur depuis son pic de la fin 2017.
Vendez tout, même l'immobilier ? En vingt ans, les prix des logements ont flambé. En France, par exemple, les prix de l'ancien ont été multipliés par deux et demi.
Les indicateurs de solvabilité fléchissent en conséquence. Il faut travailler près de huit mois au SMIC pour s'acheter un mètre carré parisien contre trois mois en 1997. Et quand il fallait à l'époque quinze années de loyer pour payer un appartement, il en faut aujourd'hui vingt-sept. Impossible évidemment de continuer à ce rythme. D'autant plus que le taux d'intérêt à long terme, qui détermine les mensualités de remboursement des emprunts immobiliers, semble désormais orienté à la hausse après avoir passé des années à un plancher historique.
Mais il faut se méfier des évidences. Et si l'immobilier était en réalité condamné à s'apprécier pendant encore des décennies ? Des chercheurs ont fait récemment des constats troublants qui amènent à poser sérieusement cette question. Les prix de l'immobilier s'inscrivent dans un cycle de hausse depuis plus d'un demi-siècle. Une tendance qui paraissait insoutenable a donc bel et bien été soutenue, sans déséquilibres majeurs. Et les forces qui ont poussé les prix à la hausse sont loin d'être épuisées. D'abord, les prix. Si les cours des actions ou des obligations sont suivis au jour le jour depuis le XIXe siècle, il n'en va pas de même pour l'immobilier. En France, des séries longues sont disponibles grâce à l'acharnement d'un infatigable chercheur, Jacques Friggit. Mais c'est loin d'être le cas partout. Trois chercheurs oeuvrant dans des universités allemandes, Moritz Schularick (Bonn), Katharina Knoll (Université libre de Berlin), et Thomas Steger (Leipzig), ont donc constitué une base de données portant sur quatorze pays pendant près d'un siècle et demi. Ils livrent les principaux enseignements qu'ils en ont tirés dans un article paru dans la prestigieuse « American Economic Review ».
Surprise : les prix de l'immobilier ont longtemps progressé comme les autres prix. Dans les années 1960, la valeur hors inflation d'un logement était du même ordre qu'à la fin du XIXe siècle. Les prix réels ont commencé à accélérer seulement à partir des années 1970, à la ville comme à la campagne, plus ou moins tôt selon les pays.
L'augmentation du coût de la construction n'explique qu'une petite partie de ce renchérissement. D'après les calculs des auteurs, l'essentiel vient de la hausse des prix du terrain, de 74 % au Royaume-Uni à 96 % en Finlande (93 % en France).
Pourquoi donc la terre, et non la pierre, s'est-elle autant appréciée ? Pour Knoll, Schularick et Steger, l'explication vient du transport. Avec le train et le métro puis la voiture, les déplacements ont coûté beaucoup moins cher. Des terrains autrefois éloignés sont devenus accessibles. Or la baisse relative des prix du transport s'éteint dans les années 1960, et il paraît peu vraisemblable qu'elle reparte à l'avenir - il serait facile d'argumenter dans l'autre sens. La quantité de terrains utiles a donc stagné depuis. L'urbanisation a renforcé la rareté. Une rareté accentuée par des choix politiques - incitation à l'accession à la propriété, règles d'urbanisme limitant la construction.
Dans l'agglomération de Boston, il y a moitié moins de permis de construire accordés aujourd'hui que dans les années 1960.
Le coût du transport n'explique pas à lui seul la flambée des prix de l'immobilier. Deux professeurs de l'Imperial College de Londres,
David Miles et James Sefton, vont plus loin dans l'explication. En scrutant eux aussi le marché immobilier à très long terme, ils trouvent que deux facteurs jouent un rôle très important dans l'évolution des prix. D'une part, l'acceptation à payer davantage pour son toit. Or « le logement semble se comporter comme un bien supérieur », relèvent Knoll, Schularick et Steger. Nous sommes prêts à payer toujours plus pour lui, quitte à sacrifier d'autres dépenses. Le poids du logement dans le budget des Français a été multiplié par 2,5 en un demi-siècle. Il peut encore monter.
D'autre part, le prix de l'immobilier dépend aussi de notre acceptation à laisser les villes croître en hauteur plutôt qu'en largeur. « La ligne d'horizon de New York montre qu'il est désormais possible d'ériger des bâtiments d'habitation très hauts sur de petites parcelles », remarque David Miles. A Paris, comme dans d'autres villes, cette acceptation semble toutefois proche de zéro.
Avec un peu de croissance économique et démographique, Miles et Sefton montrent qu'il n'est pas très difficile de bâtir un modèle où les prix de l'immobilier continuent d'augmenter pendant des décennies. Ce n'est évidemment pas une certitude. La remontée des taux d'intérêt va mordre sur le pouvoir d'achat immobilier, nous finirons peut-être par refuser de payer toujours plus pour nos maisons, comme l'estime Jacques Friggit, et un krach reste possible. Mais, à long terme, l'immobilier pourrait finalement constituer le meilleur refuge pour l'épargne.
Jean-Marc Vittori